Responsabilité des hébergeurs
La jurisprudence, antérieure à la loi n° 2000-719 du 01 août 2000 modifiant la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, trouve ses sources dans deux grandes affaires à propos du droit à l’image.
– Tribunal de Grande Instance de Paris 09 juin 1998 – Affaire Estelle Halliday c/ Valentin (décision de principe)
Faits : Publication de photos du mannequin nue sur un site internet, alors même que la publication dans la presse de ces photos avaient déjà donné lieu à plusieurs condamnations.
Décision : Le tribunal ordonne à l’hébergeur de mettre en œuvre tous les moyens de nature à rendre impossible toute diffusion des clichés photographiques. Le juge précise que le fournisseur d’hébergement a l’obligation de veiller à la bonne moralité de ceux qu’il héberge, au respect par ceux-ci des lois et des règlements et des droits des tiers.
Cette décision a été confirmé par la Cour d’Appel de Paris le 10 février 1999
– Tribunal de Grande Instance de Nanterre 08 décembre 1999 – Affaire Lynda L. c/ Sté Multimania, Sté France Cybermédia, Sté SPPI, Sté Esterel
Faits : Lynda L. fait constater par un huissier que diverse photographies la représentant totalement ou partiellement dénudée, pour lesquelles elle avait accepté de poser dans le cadre de l’activité de mannequin qu’elle exerçait dix ans auparavant, puvaient être consultées sur plusieurs sites internet. Elle fait valoir qu’elle n’a jamais donné son consentement à la diffusion de ces photos et agi sur le terrain du droit à l’image (art 9 C. Civ) et de la responsabilité civile (art 1383 C. Civ)
Décision : Condamnation des hébergeurs des sites incriminés. En l’absence d’autorisation de la part de Lynda L., la violation du droit à l’image est caractérisée. En référence à l’art 1383 C .Civ, le juge décide qu’il appartient à l’hébergeur de prendre les précautions nécessaires pour éviter de léser les droits des tiers et de mettre en œuvre à cette fin des moyens raisonnables d’information, de vigilance et d’action. Le juge précise que la vigilance ne signifie pas pour autant une surveillance minutieuse et approfondie du contenu des sites mais simplement l’utilisation d’un moteur de recherche basé sur des mots clés d’un nombre réduit permettant de repérer les contenus apparemment illicites.
– Cour d’Appel de Versailles 08 juin 2000 – Affaire Lynda L. c/ Sté Multimania
Décision : La Cour a infirmé le jugement du T.G.I. de Nanterre du 09 décembre 1999 au motif que la preuve d’une négligence ou d’une imprudence susceptible d’engager la responsabilité de la société Multimania n’a pas été rapporté.
La Cour précise également que les obligations de vigilance, d’information et d’action sont des obligations de moyens et qu’à ce titre il incombe au demandeur de rapporter la preuve de leur manquement de la part du prestataire.
La Cour définit avec plus de précision la notion de vigilance. Il ne s’agit pas d’un examen général et systématique des contenus des sites hébergés mais d’une nécessité de contrôler de manière périodique (manuellement ou par moteur de recherche) l’ensemble de son serveur.
De plus, les juges du fond dressent une liste non limitative de mesures préventives accompagnant ces obligations de moyens :
– Prohibition de l’anonymat ou de la non identification des clients de l’hébergeur. – Adhésion à une charte de comportement ou de tout autre procédé incitatif au respect des textes et des droits des personnes.
– Conseil Constitiutionnel décision n° 2000-433 DC du 27 juillet 2000 Le 27 juillet 2000, le Conseil Constitutionnel rejeta, pour l’essentiel, le recours dont l’avaient saisi plus de soixante députés contre la loi modifiant la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication. Furent censurées d’office, comme trop imprécises au regard des exigences imposées à la loi par l’article 34 de la Constitution en matière de détermination des crimes et délits (absence de précision quant aux conditions de forme de la saisine, non détermination des caractéristiques essentielles du comportement fautif de nature à engager la responsabilité pénale des intéressés), les dispositions de l’article 1er de la loi déférée qui mettait en jeu la responsabilité pénale des personnes fournissant des prestations d’hébergement, lorsque ‘ayant été saisies par un tiers estimant que le contenu qu’elles hébergent est illicite ou lui cause un préjudice, elles n’ont pas procédé aux diligences appropriées’.
– Loi n° 2000-719 du 01 août 2000 modifiant la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication
La loi du 1er août 2000 a introduit 4 nouveaux articles dans la loi de 1986 :
– Art 43-7 : cet article fait peser sur le fournisseur d’accès l’obligation d’informer les abonnés de l’existence de moyens techniques permettant de restreindre l’accès à certains services ou de les sélectionner. D’autre part, obligation lui est faite de proposer au moins un de ces moyens aux abonnés.
– Art 43-8 : cet article précise que la responsabilité de l’hébergeur peut être retenue du fait du contenu des services qu’il rend accessible si, ayant été saisie par une autorité judiciaire, il n’a pas agi promptement pour empêcher l’accès à ce contenu.
– Art 43-9 : L’hébergeur a l’obligation de détenir et conserver les données permettant d’identifier toute personne ayant contribué à la création d’un contenu de site. Si ces données sont requises par les autorités judiciaires, l’hébergeur doit les communiquer.
– Art 43-10 : cet article définit quelles sont les informations qui sont à mettre à la disposition du public. Pour les personnes physiques : nom, prénom, adresse. Pour les personnes morales : dénomination ou raison sociale, siège social. De même, doivent être disponibles les nom, dénomination ou raison sociale et adresse de l’hébergeur. Les éditeurs, non professionnel, de sites peuvent conserver l’anonymat dés lors qu’ils fournissent l’identité de leur hébergeur, à condition que ce dernier ait en sa possession toutes les informations nécessaires à identifier l’éditeur.
– Tribunal de Grande Instance de Paris 20 septembre 2000 – Affaire Sarl One.Tel c/ SA Multimania
Faits : La société One.Tel a découvert l’existence de deux sites Internet hébergés par la société Multimania, qui ont pour objet de la dénigrer et de porter des propos outranciers à son encontre mais qui portent également atteinte à ses droits sur ses marques et à ses droits d’auteur. Décision : Mis en demeure de fournir l’identité du ou des auteurs de ces sites et de faire cesser le trouble issu de l’hébergement de ces derniers, Multimania a selon le juge rempli ses obligations légales telles que découlant de l’article 43-9 de la loi du 01 août 2000, à savoir la fourniture des données de nature à permettre l’identification desdits auteurs. De plus, le juge maintient les effets de la mesure de suspension prise par la société Multimania, eu égard aux contenus des sites litigieux.
Les obligations ont été remplies en l’espèce au travers de la communication par Multimania, des informations recueillies lors de l’inscription des abonnés, ainsi que du journal des connexions sur les sites en cause. C’est sur ce document que se fonde la décision, puisque grâce aux informations fournies par Multimania, One.Tel avait la possibilité de retrouver l’identité des titulaires des sites. C’est grâce à ce document que Multimania a su réagir pour éviter d’engager sa responsabilité : suspension des sites litigieux dés réception de l’assignation, communication rapide des informations.
– Projet de Loi sur la société de l’information (dont la pérénité semble mise en cause par le changement de majorité des élections de 2002..).
Modification de l’article 43-8 : suppression, dans le premier alinéa du mot ‘pénalement’. L’article est complété par un tiret disposant que la responsabilité de l’hébergeur peut être retenue si, ayant effectivement connaissance du caractère manifestement illicite d’un service, il n’a pas agi promptement pour le retirer ou en rendre l’accès impossible.
Le projet de loi prévoyait d’insérer deux nouveaux articles : 43-8-1 et 43-8-2.
– Art 43-8-1 : Cet article dispose que l’hébergeur n’est pas soumis à une obligation générale de surveiller les informations qu’il transmet ou stocke. De même, il n’a pas à rechercher activement des faits ou des circonstances révélant des activités illicites. Il a l’obligation d’informer promptement les autorités compétentes des activités ou informations illicites portées à sa connaissance dans l’exercice de son activité.
– Art 43-8-2 : Le juge des référés peut ordonner toutes mesures propres à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d’un service de communication en ligne, en rendant impossible l’accès à ce contenu ou en mettant fin à son stockage.