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Loi Pacte et Propriété Industrielle

Depuis plusieurs décennies, l’économie mondialisée confère à la propriété industrielle une importance cruciale.

Selon l’étude d’impact de la loi PACTE qui vient d’être adoptée, le nombre de brevets déposés à l’échelle mondiale a été multiplié par trois ces 25 dernières années passant de 1 million à 3 millions par an. De son côté, l’INPI a recensé en 2017 16.250 demandes de brevets d’invention, 90.500 dépôts de marques et 6.000 dessins ou modèles.

Sur le total des demandes de brevet d’invention en 2015, seulement 22 % des dossiers sont déposés par les PME contre 56,8% pour les grandes entreprises.

A l’échelle européenne, la France accuse un retard important. Selon Bercy, « les PME françaises déposent quatre fois moins de brevets que les PME allemandes.[1] »

Face à ce constat, la loi Pacte prévoit notamment de durcir les règles de délivrance des brevets devant l’INPI afin notamment d’augmenter leur valeur et leur attractivité auprès des entreprises françaises, le but étant de favoriser l’innovation et à faciliter la croissance des PME[2].

Parmi les principaux apports du projet de loi, on note :

  • La promotion des certificats d’utilité français (article 40) ;
  • La mise en place d’une procédure d’opposition devant l’INPI (article 42) et ;
  • Le renforcement de la procédure d’examen devant l’INPI (article 42 bis).
  1. Promouvoir les certificats d’utilité

Le certificat d’utilité est un titre de propriété industrielle délivré par l’INPI qui, comme le brevet, donne un monopole d’exploitation à une invention technique en contrepartie de sa divulgation. Il répond aux mêmes conditions de brevetabilité que le brevet.

Dans la version actuelle du Code de la propriété intellectuelle, le certificat d’utilité est un titre analogue au brevet, qui en possède par ailleurs les mêmes critères de délivrance.

Aussi, le dépôt d’un certificat d’utilité en France permet de disposer d’un droit de priorité d’un an à compter du dépôt pour déposer une demande de brevet à l’étranger pour la même invention.

Néanmoins, le certificat d’utilité possède actuellement une portée plus limitée que le brevet :

  • Une durée de vie inférieure (six ans à compter du jour du dépôt de la demande, contre vingt ans pour un brevet) ;
  • Sa demande ne peut pas être convertie en demande de brevet (alors que l’inverse est possible) ; et
  • Il ne donne lieu ni à un rapport de recherche, ni à un examen de fond devant l’INPI.

Toutefois, il est à noter qu’en cas d’action en contrefaçon sur la base d’un certificat d’utilité, le rapport de recherche préliminaire devra être établi.

Son principal avantage réside dans son faible coût. En effet, la taxe de recherche est de 520 euros pour le brevet (ce à quoi il faut ajouter des frais de réponse au rapport de recherche), alors que le dépôt d’un certificat d’utilité est de 36 € au format papier, et de 26 € pour un dépôt au format électronique, auxquels il faut rajouter 86 € au titre de la délivrance.

En pratique, même si le dépôt d’une demande de certificat d’utilité demeure rare, ce dernier reste intéressant pour protéger des inventions à courte durée de vie.

En effet, le recours à ce titre prend tout son sens s’il s’agit d’assurer une protection urgente de l’invention :

  • En amont du dépôt de brevet : pour anticiper les risques de contrefaçon, notamment lorsque l’invention doit faire l’objet d’une présentation publique rapidement ;
  • Dans le but de dissuader des tiers, en déposant les aspects techniques sans pour autant en communiquer le contenu immédiatement. Ainsi, l’invention protégée ne sera dévoilée qu’à compter de la publication du titre, soit 18 mois après le dépôt.

Le projet de loi PACTE propose de modifier les dispositions du CPI sur deux points :

  • L’allongement de la durée de vie du certificat d’utilité à dix ans (contre six actuellement) ;
  • La possibilité de transformer une demande de certificat d’utilité en demande de brevet dans un délai et une procédure fixés par décret.

L’objectif est de faire du certificat d’utilité une alternative crédible et plus abordable au brevet, en lui faisant gagner en durée de vie et en flexibilité.

Concrètement, une entreprise pourrait protéger son invention en déposant d’abord une demande de certificat d’utilité, puis en attendant plusieurs années avant de la transformer en demande de brevet.

Pour autant, le certificat d’utilité reste actuellement un titre de propriété industrielle moins valorisable que le brevet, en ce qu’il ne donne lieu à aucun rapport de recherche ni examen au fond. De plus, il n’est pas reconnu à l’étranger.

  1. La possible création d’une demande provisoire de brevet faisant date

La Commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi Pacte envisage également la création d’une demande « provisoire » de brevet, limitée à un an.

Pour rappel, la demande de brevet traditionnelle comprend la description de l’invention, la preuve qu’il n’existe pas d’autres inventions similaires déjà accessibles au public, et la démonstration qu’il s’agit d’une activité inventive.

Le brevet provisoire se limiterait à une description de l’invention dans un premier temps, dans laquelle tout resterait confidentiel.

Le déposant disposerait ensuite d’une année pour accomplir les autres formalités.

Pour rappel, le brevet court à partir de la demande provisoire. Ainsi, le déposant serait en mesure de revendiquer l’antériorité de son invention si une autre entreprise venait entre-temps sur son terrain.

L’autre avantage de ce dispositif temporaire serait également d’étaler les coûts.

Ce dispositif est proche du dispositif américain, en effet les Etats-Unis proposent une demande « provisoire » (« provisional application »), contenant seulement une description de l’invention (sans revendication). Cette demande n’est valable que douze mois, le déposant devant dans ce délai déposer une demande de brevet sous priorité de la demande provisoire avec cette fois-ci ses revendications.

Cette nouvelle procédure viserait donc à faciliter l’accès à la protection de la propriété intellectuelle, notamment pour les PME, les start-ups et les chercheurs français.

En pratique, le dépôt de cette demande pourrait se faire en ligne, sur le site de l’INPI, avec une simple description (sans revendication). Il permettrait ainsi de « prendre date » pendant un an (la demande de brevet correspondant au point de départ de la protection), en allant plus loin que la possibilité de déposer une demande de brevet européen ou français sans déposer de revendication pendant deux mois.

De plus, on imagine que cette description pourrait permettre à la recherche et au développement de suivre leur cours jusqu’au dépôt des revendications.

Cependant, un tel dépôt de demande de brevet sans revendication pourrait poser des problèmes de droit de priorité devant l’OEB ou devant les tribunaux français.

Compte tenu du coût que l’on imagine peu élevé pour ce type de demande, on peut penser que l’entreprise déposante trouvera un intérêt à déposer une succession de demandes provisoires dans le délai d’un an (une première pour prendre date, les suivantes pour ajouter des perfectionnements et fournir du support pour des revendications de large portée), puis de déposer une demande de brevet revendiquant la priorité de toutes les demandes provisoires déposées antérieurement. Le risque de perdre la priorité (et donc de se voir opposer des divulgations faites dans le délai d’un an) pourrait ainsi se voir réduit.

3. Le renforcement de la procédure d’examen

Le dépôt d’un brevet français est extrêmement simplifié du fait d’un mécanisme de délivrance « quasi-automatique ».[3]

En effet, les motifs de rejet concernant les conditions positives de brevetabilité (nouveauté, activité inventive et d’application industrielle) sont en réalité très limités.

Pour cause, seule une absence manifeste de nouveauté résultant du rapport de recherches peut actuellement entraîner le rejet au fond de la demande. Toute possibilité de rejet sur le fondement de l’absence d’activité inventive ou d’application industrielle est exclue.

De plus, la demande ne peut être rejetée que dans le cas où le déposant, mis en demeure de modifier ses revendications pour pallier cette absence de nouveauté ne s’est pas exécuté, ou plus généralement n’a pas présenté d’observations ou de nouvelles revendications durant la procédure d’établissement du rapport de recherches.

À l’heure actuelle, l’INPI n’a donc pas le pouvoir de rejeter une demande de brevet pour défaut d’activité inventive, ni pour absence d’invention brevetable, mais seulement pour défaut « manifeste » de nouveauté.

Ainsi, l’étendue actuelle de l’examen au fond pratiqué par l’INPI ne se situe pas dans le standard de ses voisins européens.

L’article 42 bis du projet de loi PACTE propose de modifier l’article L.612-12 du CPI pour étendre la portée de l’examen par l’INPI, en lui offrant la possibilité de rejeter une demande de brevet notamment :

  • Pour défaut de nouveauté (et non plus pour défaut « manifeste » de nouveauté) ;
  • Pour défaut d’activité inventive ; et
  • Au motif que l’invention revendiquée ne peut pas être considérée comme une « invention » au sens de l’article L.611-10, alinéa 2 du CPI.

L’objectif assumé est de renforcer l’examen au fond par l’INPI et d’améliorer la confiance dans le système français des brevets.

La Commission spéciale a indiqué que cette étendue de la portée de l’examen au fond se ferait à budget constant et nécessiterait un délai de deux ans « au regard des changements de pratiques » que cela entraînera.

  1. La mise en place prochaine d’une procédure d’opposition

La sécurité juridique (et donc la valeur) des brevets français est critiquée pour plusieurs raisons.

On a vu que l’examen de sa demande était limité, l’INPI n’ayant pas le pouvoir de rejeter une demande de brevet pour défaut d’activité inventive mais seulement en cas de défaut « manifeste » de nouveauté.

Par ailleurs, cette insécurité découle également du fait qu’il n’existe pas, à l’instar du droit des marques, de recours administratif contre une décision de délivrance d’un brevet français par l’INPI, de sorte qu’un tiers gêné par un brevet français n’a d’autre choix que d’engager une action en nullité de ce brevet devant le TGI de Paris.

Sur ce point, la France est également en retard par rapport à un certain nombre d’offices nationaux étrangers (notamment l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, la Suisse, l’Autriche, la Suède, la Norvège, la Finlande, le Royaume-Uni, le Danemark, le Japon et les Etats-Unis) qui offrent déjà une voie de recours administratif contre les brevets nationaux qu’elles délivrent.

A titre comparatif, l’Office européen des brevets a mis en place une procédure d’opposition à l’encontre des brevets européens qu’elle délivre. Ainsi, lorsqu’un brevet européen est délivré par l’OEB, les tiers ont le choix entre :

  • Former une opposition à l’encontre de ce brevet européen dans sa totalité, dans un délai de neuf mois à compter de sa délivrance ;
  • Demander l’annulation d’une partie nationale de ce brevet devant le tribunal national correspondant, sans condition de délai (hors prescription de l’action en nullité suivant le droit national).

Face à ces constats, l’article 42 du projet de loi PACTE propose d’instaurer une procédure d’opposition devant l’INPI à l’encontre des brevets français. Les modalités (délais, coûts, recours, etc.) restent à fixer par voie d’ordonnance et les délais prévus pour sa mise en place effective sont d’au moins 15 mois.

Cette simplification pour les tiers de la procédure pouvant conduire à annuler les titres non valables a pour objectif de renforcer la sécurité juridique du brevet français.

Ces dispositions soulèvent néanmoins certaines questions. Si on comprend que le défaut d’activité inventive sera un motif d’opposition, une incertitude demeure sur la question de l’insuffisance de description.

De même, il s’agira notamment de trancher la question de l’intérêt à agir (qui n’est pas une exigence posée par l’OEB pour former une opposition contre un brevet européen) et de l’autorité de chose jugée. En effet, la cour d’appel de Paris est actuellement compétente pour examiner les recours contre les décisions du Directeur général de l’INPI dans le cadre d’une procédure d’opposition, notamment en matière de marques. Il se pose alors la question de savoir si la décision de la cour d’appel de Paris aura autorité de la chose jugée.

  1. Une modification du régime fiscal des brevets

Dans le cadre du projet de loi de finances 2019, le ministre des comptes publics Gérald Darmanin a présenté les contours de la réforme du régime fiscal des brevets.

Le dispositif actuel permet aux entreprises de bénéficier d’un taux d’impôt sur les sociétés divisé par deux (soit 15%) pour les revenus tirés des brevets déposés en France. Afin de se mettre en conformité avec les engagements internationaux auprès de l’OCDE et de la Commission européenne, la France doit revoir ce régime dérogatoire.

Dans l’exposé des motifs, le document budgétaire indique que « la réforme envisagée, qui s’inscrit dans le cadre d’une politique plus large de soutien à la R&D comprenant notamment le crédit d’impôt recherche (CIR), a pour objet de proportionner les revenus bénéficiant de l’avantage fiscal au montant de dépenses de R&D réalisées en France par le contribuable pour créer ou développer l’actif incorporel. »

Cette réforme pourrait donc limiter le nombre de brevets éligibles à ce type de fiscalité. En effet, seuls les brevets déposés à l’issue de recherches effectuées en France pourraient bénéficier de ce régime avantageux.

Blandine Poidevin
Florent Pinchon
Avocats
Cabinet Jurisexpert
www.jurisexpert.net

[1] https://www.latribune.fr/economie/france/loi-pacte-le-gouvernement-simplifie-les-procedures-de-depot-de-brevets-pour-les-pme-792552.html

[2] http://www.assemblee-nationale.fr/15/ta/tap0179.pdf

[3] Marianne Mousseron, « traitement de la demande française de brevet », J.-Cl. Brevet, fasc. 265, 1988