La vie privée des salariés
La Jurisprudence récente rendue par la Cour de Cassation est l’occasion de préciser le cadre juridique applicable aux relations entre employeur et salariés sur les questions de la vie privée de ces derniers.
Ainsi, l’arrêt rendu le 10 juin 2008 par la Chambre Sociale de la Cour de Cassation dans une affaire Florence G. c/ MEDIA SYSTEM, CIMEP, rappelle qu’un employeur peut solliciter un huissier afin d’accéder aux fichiers personnels d’une salarié n’ayant pas été spécifiés comme tels par cette dernière.
Cette affaire opposait une responsable d’agence à une entreprise de conseil en publicité (employeur), suite à la démission de la salariée pour rejoindre une société concurrente. L’employeur soupçonnait de la part de sa salariée des actes de concurrence déloyale consistant notamment dans l’échange de courriers électroniques avec une société concurrente, qu’elle finira par intégrer.
La Juridiction rappelle en l’espèce que « le respect de la vie personnelle du salarié ne constitue pas en lui-même un obstacle à l’application de l’article 145 du Code de Procédure Civile, dès lors que le Juge constate que les mesures qu’il ordonne procède d’un motif légitime et sont nécessaires à la protection des droits de la partie qui les a sollicitées. »
La Cour de Cassation confirme donc la solution dégagée par la Cour d’Appel de RENNES, retenant que « l’employeur avait des raisons légitimes et sérieuses de craindre que l’ordinateur mis à la disposition de la salariée avait été utilisé pour favoriser des actes de concurrence déloyale » et confirme la légalité du recours par l’employeur à un huissier de Justice afin de prendre copie en présence de la salariée ou celle-ci dûment appelée des « messages échangés avec les personnes identifiées comme étant susceptibles d’être concernées par les faits de concurrence soupçonnés ».
De manière générale, cette décision intervient dans un contexte faisant du courrier électronique du salarié « un bastion de sa vie privée protégé par les articles 8 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme et 9 du Code Civil. » (article « Accès de l’employeur à des documents détenus par le salarié sur son ordinateur professionnel ou dans son bureau de l’entreprise », commentaire d’Agathe Lepage, Communication Commerce Electronique n°4 d’Avril 2007, commentaire n°61 ; CCass, Ch. Soc., 2 octobre 2001, NIKON).
La question de la distinction entre les fichiers et courriers présentant un caractère personnel et ceux présentant un caractère professionnel apparaît en effet primordiale.
Ainsi, dans une décision du 18 octobre 2006, la Cour de Cassation retient qu’à défaut d’indication par le salarié du caractère personnel des dossiers et fichiers concernés, ceux-ci sont présumés avoir un caractère professionnel. Dès lors qu’ils présentent cette qualité, les fichiers sont accessibles à l’employeur hors de la présence du salarié. Au contraire, les fichiers à caractère personnel sont protégés par le droit au respect de la vie privée du salarié.
La Juridiction suprême est venue nuancer ce principe dans son arrêt du 17 mai 2005 (CCass, Ch. Soc., Philippe X c/ CABINE ET SCIENCE) en décidant que l’employeur ne peut ouvrir les fichiers identifiés par le salarié comme personnels, contenus sur le disque dur de l’ordinateur mis à sa disposition, qu’en présence de ce dernier ou celui-ci dûment appelé, « sauf risque ou événement particulier ».
Plus récemment, la Jurisprudence est venue confirmer cette solution dans un arrêt du 18 mai 2007 (CCass, Ch. Mixte, Guy X c/ Société Y SA) en mentionnant qu’est licite l’ouverture sur le lieu de travail du pli adressé à un salarié sous une simple enveloppe commerciale démunie de toute mention relative à son caractère personnel, cet envoi ayant pu être considéré par erreur comme ayant un caractère professionnel.
A ce titre, il convient de préciser que la présence effective du salarié n’est pas imposée et que sa simple convocation est suffisante. Par ailleurs, dès lors que l’employeur bénéficie du droit d’accéder hors de la présence du salarié à ses fichiers et courriers professionnels, le salarié peut se voir condamner en cas d’entrave opposée à l’accès à ses fichiers.
C’est ce qu’a décidé la Cour de Cassation dans son arrêt du 18 octobre 2006 (CCass, Ch. Soc., 18 octobre 2006, société TECHNISOFT), en sanctionnant le cryptage par un salarié de son poste informatique sans autorisation de l’employeur, considérant que cette attitude « rendait impossible le maintien des relations contractuelles pendant la durée du préavis et constituait une faute grave ».
Cette disposition rappelle l’obligation pour tout salarié de communiquer, même en cas d’absence ou d’arrêt maladie, les modifications de ses mots de passe, afin de permettre la poursuite de l’activité de l’entreprise.