ebay face à la justice
Depuis sa création, EBAY a fait l’objet de plusieurs poursuites judiciaires. Les plaintes concernant ce site s’accumulent, notamment auprès des instances comme la DGCCRF.
Ces procédures judiciaires ont des natures différentes. Certaines ont concerné le statut même de la vente aux enchères, à l’exemple de la procédure menée par le Conseil des Ventes Volontaires de Meubles aux Enchères Publiques, qui représente en France les maisons d’enchères.
Selon ce Conseil, EBAY ne respecterait pas la loi du 10 juillet 2000, qui précise que l’agrément du Conseil des Ventes est obligatoire pour pratiquer la vente aux enchères en France. EBAY considère pour sa part avoir le statut de courtier et non de commissaire priseur.
EBAY est également poursuivi par des ayant-droits dans le monde de la musique, comme PRINCE, qui a l’assigné au même titre que YOUTUBE ou PIRATEBAY, se plaignant que l’on trouve des objets pirates ou contrefaits à son effigie sur EBAY.
Toutefois, la majorité des décisions qui ont été rendues à ce jour est circonscrite au droit de la consommation.
Deux décisions rendues en Juin 2008 mettent en cause le statut juridique adopté par EBAY jusqu’à présent.
La première décision, rendue par le Tribunal Correctionnel de TROYES, a condamné une utilisatrice des services EBAY qui avait vendu trois sacs HERMES contrefaits à une amende de 3.000,00 euros, et a condamné également EBAY en qualité d’éditeur de services, à une somme de 20.000,00 euros au bénéfice de la société HERMES.
Le Tribunal de Commerce de PARIS, dans son jugement du 30 juin 2008, a, par trois décisions rendues le même jour, condamné EBAY sur le fondement de la contrefaçon et de la commercialisation hors des réseaux de distribution sélectifs des parfums DIOR, KENZO, GIVENCHY et GUERLAIN, pour un montant cumulé de plus de 38 millions d’euros.
Jusqu’à ce jour, EBAY se retranchait derrière le statut d’hébergeur, en considérant qu’il offrait une plateforme technique dont l’utilisation dépendait de la seule responsabilité de ses utilisateurs. EBAY entendait par là se prévaloir du statut favorable proposé par la LCEN du 21 juin 2004 aux hébergeurs, défini comme suit : « les personnes physiques ou morales qui assurent, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services, ne peuvent pas voir leur responsabilité civile (ou pénale) engagée du fait des activités ou des informations stockées à la demande d’un destinataire de ces services, si elles n’avaient pas effectivement connaissance de leur caractère illicite ou de faits et circonstances faisant apparaître ce caractère, ou si, dès le moment où elles en ont eu cette connaissance, elles ont agi promptement pour retirer ces données ou en rendre l’accès impossible ».
Ce régime de responsabilité sous lequel se place EBAY lui permettait d’attendre de recevoir une notification présentant une vente comme illicite avant de la retirer.
Ce statut a été adopté à l’époque du Web1.0 afin de préserver la responsabilité des intermédiaires techniques qui, a priori, n’interviennent en aucune façon sur le contenu.
L’avènement du Web2.0 a bouleversé la donne, dans la mesure où les frontières entre prestataire technique et éditeur de sites tendent à disparaître.
Dans ce cadre, EBAY, même s’il était présent dès la première heure de l’Internet, stigmatise cette problématique.
Plusieurs points de droit ont été soulevés dans le cadre des affaires jugées par le Tribunal de Commerce de PARIS, et apportent des solutions à étudier au regard du droit de l’Internet.
Tout d’abord, se trouvait en cause non seulement le site français, mais également la plateforme mondiale de courtage aux enchères EBAY, à laquelle accède une communauté de plus de 248 millions d’utilisateurs, répartis sur cinq continents. C’est la raison pour laquelle le Tribunal a tout d’abord dû trancher la question de sa compétence.
Le Tribunal a retenu sa compétence en jugeant que le dommage était subi sur le territoire français, dans la mesure où les sociétés demanderesses avaient leur siège social établi en France, que l’action en réparation pouvait alors connaître de l’intégralité du préjudice subi, que le site Internet était accessible à partir de la France, et que peu importait le lieu d’hébergement des sites, il suffisait de démontrer que ces sites étaient accessibles au public français, certains ayant été traduits en français.
Ainsi, la théorie de l’orientation n’a pas été retenue dans cette affaire. Le Tribunal s’est donc reconnu compétent tant à l’égard de la société de droit suisse EBAY INTERNATIONAL AG (responsable de l’exploitation des différents sites EBAY), qu’envers la société mère, la société de droit californien EBAY Inc.
Il a été reproché à EBAY d’avoir commis des fautes de négligence en n’ayant pas mis en place des moyens efficaces, au point de vue technique et humain, afin d’empêcher la vente de produits réservés à des systèmes de distribution sélective, et également d’avoir perçu des commissions sur les ventes litigieuses, considérant que cela favorisait ainsi ce commerce illicite.
EBAY considérait au contraire combattre la contrefaçon en rappelant aux utilisateurs le respect de la loi et des règlements, avec son programme VERO, programme d’aide à la protection de la propriété intellectuelle, et en remboursant les utilisateurs victimes de contrefaçon.
Le Tribunal retient qu’EBAY est un site de courtage et qu’il ne peut bénéficier de l’exception prévue pour les intermédiaires techniques, car EBAY déploie une activité commerciale rémunérée sur la vente des produits aux enchères et ne limite donc pas ses activités à celle d’hébergeur de sites Internet.
Le Tribunal a considéré que l’essence même de la prestation d’EBAY est l’intermédiation entre acheteurs et vendeurs, et qu’EBAY met en place des outils destinés spécifiquement à assurer la promotion et le développement des ventes sur ses sites à travers des plateformes. EBAY joue donc un rôle « très actif », notamment par des relances commerciales pour augmenter le nombre de transactions, générant des commissions à son profit. Le Tribunal conclut qu’EBAY n’est donc pas un simple service de stockage d’annonces, mais un service de courtage, c’est-à-dire d’intermédiation entre acheteurs et vendeurs.
Selon le Tribunal, compte tenu du choix de ce modèle économique par EBAY, il ne peut se considérer comme simple prestataire technique à partir du moment où il participe, même de façon indirecte, à l’acte de vente.
Le Tribunal a ainsi condamné EBAY, sous astreinte, à ne plus diffuser d’annonces portant sur des produits de parfumerie et de cosmétiques, à ne plus utiliser les dénominations DIOR, KENZO, GIVENCHY et GUERLAIN, sous astreinte de 50.000,00 euros par jour de retard, et a également indemnisé les demandeurs au titre du préjudice matériel subi, calculé sur la base des revenus perçus par EBAY au titre de l’insertion et de la mise en valeur des annonces jugées illicites parues sur Internet.
Il a également condamné EBAY au paiement de diverses indemnités au titre du préjudice moral.
Selon le Tribunal, « les sociétés EBAY Inc et EBAY INTERNATIONAL AG ont commis des fautes graves en manquant à leur obligation de s’assurer que leur activité ne générait pas des actes illicites portant atteinte au réseau de distribution sélectif mis en place par les SA PARFUMS CHRISTIAN DIOR, KENZO PARFUMS, PARFUMS GIVENCHY et GUERLAIN SA ».
Dans les affaires CHRISTIAN DIOR COUTURE et LOUIS VUITTON MALLETIER, le Tribunal a considéré qu’EBAY aurait dû mettre en place des mesures efficaces pour lutter contre la contrefaçon. Il peut s’agir par exemple de l’obligation pour les vendeurs de fournir une facture d’achat ou un certificat d’identité. Le Tribunal met également en exergue le fait que les annonces portant sur des ventes de produits contrefaisants sont facilement identifiables, soit pas la mention « contrefaçon » qui apparaît parfois clairement, soit au regard du prix de vente. C’est la raison pour laquelle les juges apprécient le préjudice lié à l’atteinte au droit de propriété intellectuelle et à l’image de ces sociétés au regard non seulement des investissements réalisés mais surtout des revenus publicitaires perçus par EBAY grâce à la l’insertion et à la mise en valeur des annonces illicites.
En conclusion, il convient de retenir l’analyse très pragmatique du modèle économique menée par les juges dans cette affaire pour déterminer le régime juridique applicable.
Il faut en déduire que le régime juridique favorable de l’hébergeur doit être appliqué avec précaution.
On peut en effet imaginer qu’un hébergeur ait également le statut d’éditeur de services pour d’autres services, ou à l’inverse, comme dans le cadre de cette affaire, que le statut d’hébergeur ne permet pas de répondre au choix du modèle économique de la société.