Droit de l’art : Authenticité d’une œuvre d’art, Preuve et Responsabilité
Retour sur un arrêt rendu par la Cour de Cassation l’année dernière, qui nous permet d’appréhender la question de l’authenticité d’une œuvre d’art, question qui se pose principalement alors que l’œuvre est proposée à la vente via une maison de vente aux enchères. En effet, en cas de doute sur l’authenticité d’une œuvre, comment apporter la preuve de son authenticité ? Quel est alors le rôle et la responsabilité de l’expert ? Quelle responsabilité incombe à la maison de vente aux enchères ayant proposé à la vente un faux ? Autant de questions qu’il est intéressant d’aborder après cette décision jurisprudentielle.
Par une décision rendue le 16 mai 2013 (Cass. 1ère civ., 16 mai 2013, n° 11-14.434), la Cour de cassation s’est prononcée sur la question de la responsabilité du propriétaire mettant en vente une œuvre d’art sur laquelle planait un doute quant à son authenticité.
En effet, alors que le tableau intitulé « Nature morte aux flacons » était vendu aux enchères par son propriétaire, l’ayant-droit de l’artiste-peintre – auquel était attribuée ladite toile – a fait procéder à sa saisie-contrefaçon, estimant qu’il existait un doute sur l’authenticité de cette œuvre et sur le certificat de l’expert produit.
L’ayant-droit de l’artiste a donc assigné le vendeur propriétaire du tableau et le commissaire-priseur, en contrefaçon et en responsabilité civile pour atteinte au droit moral et à la réputation de l’artiste, et réclamé, à ce titre, des dommages et intérêts.
Par un arrêt du 10 janvier 2011, la Cour d’appel de Nancy a débouté l’ayant droit de l’artiste-peintre de sa demande de dommages et intérêts, estimant qu’il n’apportait pas davantage de preuves sur la fausseté du tableau.
En effet, la Cour d’appel de Paris s’était déjà prononcé au plan pénal le 12 janvier 1979 et avait renvoyé le père du propriétaire originel de l’œuvre, qui lui avait transmis le tableau, des fins de la poursuite des chefs d’escroquerie et de fraude en matière artistique et avait énoncé que « la fausseté de l’œuvre n’était pas plus démontrée que son caractère authentique » et ce, après avoir constaté la divergence d’opinion de deux collèges d’experts désignés pour procéder à l’examen de l’œuvre.
Toutefois, la Cour de Cassation, sur le fondement de l’article 1382 du Code civil, va reconnaître la responsabilité du vendeur du tableau et du commissaire-priseur.
En effet, la Haute juridiction constate que si l’ayant-droit de l’artiste n’a pas invoqué de nouveaux éléments pour démontrer la fausseté de l’œuvre, le propriétaire de l’œuvre l’a présentée à la vente aux enchères publiques, sans la moindre réserve, comme une œuvre réalisée par l’artiste-peintre, alors que la décision du 12 janvier 1979 établissait le doute sur l’authenticité de la toile.
La Cour de Cassation estime donc que les juges d’appel auraient dû s’interroger sur la responsabilité du commissaire-priseur, ainsi que sur celle du propriétaire du tableau, du seul fait d’avoir présenté à la vente, un tableau dont l’authenticité était, par ailleurs, contestée, en raison des opinions divergentes relevées, qui n’étaient pas contredites par un élément nouveau.
En définitive, cet arrêt est une illustration de la question, fréquente en matière d’art, de la responsabilité en cas de doute sur l’authenticité d’une œuvre.
Si par principe, la preuve incombe à celui qui conteste cette authenticité, il n’en demeure pas moins que le vendeur, tout comme la maison de vente aux enchères, peut également voir sa responsabilité engagée.
Le Code de commerce prévoit cette responsabilité incombant tant aux maisons de vente aux enchères qu’aux experts.
L’article L.321-17 dudit Code dispose ainsi que : « Les sociétés de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques et les officiers publics ou ministériels compétents pour procéder aux ventes judiciaires et volontaires, ainsi que les experts qui procèdent à l’estimation des biens, engagent leur responsabilité au cours ou à l’occasion des ventes de meubles aux enchères publiques, conformément aux règles applicables à ces ventes ».
Sur la responsabilité de la maison de vente aux enchères
De manière générale, la maison de vente aux enchères engage sa responsabilité délictuelle, sur le fondement de l’article 1382 du Code civil, en cas de faute lors de la vente.
Sa responsabilité peut être engagée pour diverses raisons et l’éventail des décisions jurisprudentielles à cet égard témoignent de ce qu’il est fréquent, pour ces maisons, de voir leur responsabilité civile engagée.
Ainsi, par exemple, une maison de vente aux enchères sera responsable en cas de vente d’un bien sans avoir vérifié sa provenance, en cas de catalogue contenant des informations insuffisantes ou inexactes, ou encore, si elle a communiqué tardivement le nom du vendeur à l’adjudicataire.
De même, en cas d’erreur d’attribution, la responsabilité de la maison de vente aux enchères sera retenue. De nombreuses décisions de jurisprudence ont été rendues à ce sujet.
Pour n’en citer qu’une : la Cour de cassation, par un arrêt du 28 juin 2007 (Cass. Civ., 1ère, 28 juin 2007, pourvoi n° 05-20.527), avait retenu la responsabilité du commissaire priseur, aux motifs suivants : « Sauf recours contre l’expert dont il s’est fait assister, le commissaire-priseur qui affirme sans réserve l’authenticité de l’œuvre d’art dont il est chargé de vendre engage sa responsabilité sur cette affirmation ».
En l’espèce, un commissaire-priseur de Granville avait, avec l’assistance d’un expert et la fourniture d’un certificat d’authenticité délivré par le vice-président et secrétaire général de l’Association des amis de Victor Charreton, présenté l’objet au catalogue comme une œuvre de l’artiste. Or, il s’est avéré, alors que le tableau était remis en vente par son acquéreur, qu’il s’agissait d’un faux, au terme d’une expertise réalisée par un autre commissaire priseur. L’acquéreur du bien a donc recherché, avec succès, la responsabilité du commissaire-priseur de Granville auprès de qui il avait donc acquis un faux, pour la somme de 91.530 francs.
Par ailleurs, même si la maison de vente s’est faite assister d’un expert, cela ne lui permet pas toujours de se dégager de toute responsabilité.
En effet, en cas de vente d’un faux, la maison de vente aux enchères ne saurait se dégager de toute responsabilité au motif qu’un expert serait intervenu pour se prononcer sur l’authenticité d’une œuvre.
Sa responsabilité sera alors engagée si elle ne s’est pas assurée que toutes les investigations nécessaires ont été menées et si elle n’a pas fait preuve d’esprit critique à l’égard des conclusions de l’expert.
C’est ainsi que, dans le cadre de deux litiges, l’un concernant un bronze de Rodin (TGI de Paris, 1ère ch., 1ère sect., 14 mars 1996, Juris-Data n°042912), l’autre concernant un tableau de Thomas de Keyser (CA Versailles, 1ère ch., sect. A, 15 mai 1997, Juris-Data n°044179), les tribunaux ont estimé que la responsabilité du commissaire priseur devait être engagée, dans la mesure où il aurait dû procéder à davantage d’investigations sur l’authenticité de l’œuvre avant de la proposer à la vente.
Sur la responsabilité des experts
Dans de telles affaires relatives aux faux en art, la responsabilité des experts est fréquemment recherchée et ce, d’autant plus, que l’expert a, en principe, une obligation de moyen « simple ». En conséquence, un manquement de sa part dans l’exécution de sa mission, entraînera sa responsabilité.
A titre d’illustration, un expert qui omet de consulter un ouvrage de référence, ou qui s’abstient de solliciter l’avis de spécialistes qui font autorité en la matière, engagera sa responsabilité.
En outre, l’expert est solidairement responsable de l’attribution du bien avec l’organisateur de la vente (L.321-30, al. 2 du Code de commerce). Ainsi, la maison de vente condamnée pourra appeler en garantie l’expert qui a attribué le bien à un artiste.
La responsabilité de l’expert est donc quasiment une responsabilité sans faute. A moins d’émettre des réserves sur l’authenticité, un expert qui attribue, à tort, une œuvre à un artiste, engagera sa responsabilité solidairement avec la maison de vente aux enchères.
Enfin, rappelons qu’en tout état de cause : « Tout expert intervenant à l’occasion d’une vente de meubles aux enchères publiques est tenu de contracter une assurance garantissant sa responsabilité professionnelle » (L.321-30, al. 1 du Code de commerce).
Sur la responsabilité du vendeur de l’œuvre
Plus rare mais envisageable également, la responsabilité du vendeur de l’œuvre peut également être recherchée.
En témoigne l’arrêt rendu le 16 mai 2013 et relaté ci-dessus, dans lequel la Cour de Cassation a retenu la responsabilité du Vendeur, solidairement avec celle de la maison de vente, qui avait proposé une toile à la vente, sans émettre de réserves, alors que planait un doute sur son authenticité.
En conclusion, il ressort de ces décisions que la preuve de l’authenticité reste particulièrement difficile à apporter ou à contester. Vendeur, acheteur, expert, commissaire-priseur sont ainsi amenés à se prononcer sur la question, et chacun peut voir, en définitive, sa responsabilité engagée, et ce au terme, généralement, de procès de plusieurs années, voire de dizaines d’années.