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La défense de ses marques face au Metaverse

Comme dans le monde physique, de nombreuses questions juridiques commencent à être soulevées s’agissant du Metaverse : collecte des données, confidentialité, comportement anticoncurrentiel, liberté d’expression, mais aussi toutes les questions touchant à la propriété intellectuelle, et notamment le droit d’auteur, les modèles, les brevets et les marques.

Tout titulaire songeant à protéger ses actifs immatériels dans le Metaverse devra envisager une stratégie bien particulière, car dans ce monde virtuel, il n’existe pour le moment pas d’autorité administrative ni d’office de propriété intellectuelle, ni même de consensus régional ou international.

Dans le monde physique, en France, la Classification de Nice permet de cadrer l’étendue de la protection de sa marque. Dans le Metaverse, comment décrire correctement le produit ou le service? Est-ce que la Classification de Nice telle qu’actuellement rédigée ne serait pas, à terme, limitante?

De grandes entreprises ont déjà adopté des stratégies de dépôt agressives aux Etats-Unis, comme Nike et Converse. Les entreprises du secteur de la mode, des cosmétiques et du sport ne sont pas les dernières à s’intéresser au Metaverse.

 

Une stratégie de marque adaptée au Metaverse ?

 

Actuellement, les éléments de classification aux niveaux français et européen s’approchent de l’univers numérique comme suit :

  • Classe 09 : programmes informatiques
  • Classe 28 : jeux vidéo
  • Classe 35 : services de magasins de vente au détail de produits virtuels
  • Classe 36 : services financiers et/ou jetons numériques
  • Classe 38 : partages d’images et de contenus vidéos
  • Classe 41 : services de divertissement
  • Classe 42 : produits virtuels non téléchargeables et NFT

Il s’agit actuellement d’une ébauche à priori temporaire : les offices nationaux et régionaux vont probablement, dans les mois ou années à venir, élaborer une classification qui soit plus adaptable au monde immense du virtuel compte tenu de sa prégnance dans la civilisation actuelle.

A l’inverse, d’autres entreprises ne désirent pas être présentes dans cet univers du Metaverse, et notamment certaines manufactures de maroquinerie de luxe comme Hermès. Cette dernière entame même une lutte sans merci contre le Metaverse comme en atteste l’affaire du sac MetaBirkin.

 

 

Défendre ses marques contre les dérives du Metaverse

 

Hermès possède cet avantage d’être un des piliers de l’industrie de la mode et d’avoir pu faire entendre sa voix contre les dérives du Metaverse, mais ce n’est pas le cas de toutes les entreprises souhaitant protéger leurs actifs.

L’analyse du risque de confusion risque d’être rendue plus difficile par l’existence de ce biais « numérique » du libellé des produits et services que semble imposer le Metaverse. Les autorités pourraient être amenées à effectuer la comparaison des produits et services en s’en tenant strictement au libellé : comment savoir si les produits ou services concernés, virtuels ou réels, sont similaires compte tenu des différences entre les canaux de vente et de distribution ? Une défense sous le bouclier pour le moment robuste de la concurrence déloyale ne serait-elle pas plus favorable, à défaut d’être moins coûteuse que la défense par voie d’opposition auprès de l’INPI ?

La veille concurrentielle est ardue sur le Metaverse. Le marché des NFT est déjà envahi par la fraude, le droit des marques n’y échappera pas non plus. L’exemple du Metabirkin laisse craindre que des tiers s’approprient les marques de titulaires afin de tirer profit de leur image et de leur renommée. Les cessions de marques frauduleuses du Metaverse risquent également de pulluler. Récemment, l’Office américain des marques a refusé de demandes de marques GUCCI et PRADA déposées par des tiers non affiliés aux sociétés éponymes, destinées à désigner des « programmes informatiques présentant des chaussures, vêtements… ». La motivation de ces rejets repose principalement sur le raisonnement suivant :

« Parce que les marques sont identiques ou virtuellement identiques et que les produits et services sont étroitement liés, les consommateurs rencontrant les produits et services du demandeur supposeraient raisonnablement qu’ils aient été produits ou fabriqués par la même entité [Gucci] […] Parce que les consommateurs supposeraient probablement qu’il y avait un lien entre les parties, les marques sont similaires au point de prêter à confusion ».

Avant que des solutions juridiques françaises et/ou européennes soient trouvées puis adaptées au Metaverse, une des stratégies pourrait être de « doubler » ses marques du monde physique par un dépôt Metaverse-friendly. Par exemple :

  • Déposer une marque « Lambda » pour des bijoux (classe 14) et des vêtements (classe 25)
  • Déposer la même marque « Lambda » pour des « services de magasins de vente au détail de produits virtuels, et notamment de bijoux » (classe 35)

L’inconvénient de ces dépôts jumeaux est le renchérissement des taxes afférentes lors du dépôt, et de l’extension de la recherche d’antériorité pour vérifier qu’il n’existe pas un droit antérieur aussi bien dans les classes de produits réels (classes 14 et 25 pour l’exemple) que dans la classe adaptée au Metaverse (classe 35). Par ailleurs, dans le cadre de licences de marques, le titulaire devra s’assurer que l’usage autorisé couvre bien le monde virtuel s’il entend user de cette marque dans le Metaverse.

L’avantage, c’est une sécurisation doublée par l’existence d’une marque enregistrée pour des produits, eux, réels.

 

La question non résolue de la territorialité d’une marque du Metaverse

 

Internet étant affranchi de toute frontière, l’on peut se demander si un dépôt de marque même adapté au Metaverse peut suffire à se protéger?

La marque est un droit territorial en ce sens que le monopole que détient le titulaire sur sa marque ne peut être opposé aux tiers que sur le territoire duquel l’enregistrement a été obtenu. Quelle territorialité imposer à un univers exclusivement numérique ayant pourtant une telle prégnance dans l’économie mondiale actuelle ?

Le critère des canaux de distribution et du public visé peut se poser : le public connecté est-il le même que le public « général » ? Les modes de distribution et de publicité sont-ils les mêmes ?

En matière de contrefaçon sur internet, la France retient à ce jour le critère de la focalisation, en vertu de laquelle l’acte de contrefaçon d’une marque française est constitué dès lors qu’un faisceau d’indices permet de démontrer que l’internaute français est la cible du site web étranger [accessibilité du site, utilisation de la langue française, livraison en France, etc.]. Pour le Metaverse, la jurisprudence française semble pour le moment retenir le critère de rattachement à la France et d’accessibilité au public français (langue française, accessibilité du site en France, etc.].

Cette porosité entre virtuel et réel, appliquée au droit des marques, oblige les titulaires de marques et de modèles ainsi que les auteurs à se plier à de nouvelles exigences s’ils souhaitent consolider la protection de leurs actifs « réels » en les répliquant dans leur version virtuelle. La création d’un univers voulu par certains et modifiable par tous va imposer aux titulaires de droit une nouvelle facette de la protection de la propriété intellectuelle.

 

Eriger une action en contrefaçon spécifique au Metaverse ?

 

Si les créations de l’esprit et les dépôts de marques sont possibles dans cet univers virtuel, leurs contrefaçons le sont tout autant. Les utilisateurs veulent parfois recréer dans le virtuel des éléments et des créations originales réelles afin d’augmenter le réalisme de leurs avatars. C’est déjà le cas pour les vêtements sponsorisés par les marques proposés pour les avatars sur Snapchat, dans une version démesurément plus petite que le Metaverse.

L’action en contrefaçon désigne l’action dont dispose le titulaire d’un droit de propriété intellectuelle contre celui qui porte atteinte à son monopole d’exploitation, ici étendu à une exploitation « virtuelle » dans le Metaverse.

Une des solutions pourrait être de se calquer sur le modèle anglo-saxon : La loi britannique sur les marques offre une protection contre les contrefaçons grâce à sa disposition relative à la contrefaçon de double identité à l’article 10(1) de la loi de 1994 sur les marques de commerce (« TMA »). C’est-à-dire que lorsqu’une contrefaçon numérique (sous la forme d’un NFT) d’un produit réel est proposée à la vente sur une plate-forme, l’utilisation dans la vie des affaires est aisément établie.

La difficulté réside dans l’identification du contrefacteur. La seconde solution, évoquée plus haut, serait de guider les entreprises dans le doublement de leur protection des marques sur leur versant plus numérique, dans les classes adaptées (09, 28, 35, 36, 38, 41 et 42).

 

Aller plus loin :

https://ancre-magazine.com/hermes-sac-birkin-metabirkin-contrefacon/

https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/proteger-sa-marque-a-l-heure-des-nft-et-du-metaverse-916901.html

https://lecourrier.vn/nike-porte-plainte-contre-stockx-une-plateforme-qui-vend-des-nft-de-baskets/957536.html

 

Article écrit par Carolann Volmat.