Brevetabilité et innovation, brevets de logiciel et combinaisons nouvelles
Pour être brevetable, une invention doit être une solution technique à un problème technique (I) et répondre aux conditions de la brevetabilité posées par le Code de la propriété intellectuelle (CPI) (II). Le logiciel a fait l’objet d’une évolution particulière (III).
I / La notion d’invention brevetable
La notion d’invention brevetable est définie de manière négative par le Code de la Propriété intellectuelle. Celui-ci ne définit pas ce qu’est une invention mais ce qui ne l’est pas.
Ainsi, l’article L611-10 alinéa 2 dispose :
« Ne sont pas considérées comme des inventions au sens du premier alinéa du présent article notamment :
a) les découvertes, ainsi que les théories scientifiques et les méthodes mathématiques ;
b) les créations artistiques ;
c) les plans, principes et méthodes dans l’exercice d’activités intellectuelles, en matière de jeu ou dans le domaine des activités économiques, ainsi que les programmes d’ordinateurs ;[le cas des programmes d’ordinateurs = le cas du logiciel → III]
d) les présentations d’informations. »
Le CPI définit également les inventions qui ne sont pas brevetables.
Ainsi, selon l’article L.611-16 :
« les méthodes de traitement chirurgical ou thérapeutique du corps humain ou animal et les méthodes de diagnostic appliquées au corps humain ou animal. Cette disposition ne s’applique pas aux produits, notamment aux substances ou compositions, pour la mise en œuvre de l’une de ces méthodes ».
Ne sont pas non plus brevetables selon l’article L.611-17 :
« les inventions dont l’exploitation commerciale serait contraire à la dignité de la personne humaine, à l’ordre public ou aux bonnes mœurs, cette contrariété pouvant résulter du seul fait que cette exploitation est interdite par une disposition législative ou réglementaire ».
Enfin, l’article L.611-19 dispose également que :
« Ne sont pas brevetables :
1° Les races animales ;
2° Les variétés végétales […] ;
3° Les procédés essentiellement biologiques pour l’obtention des végétaux et des animaux ; sont considérés comme tels les procédés qui font exclusivement appel à des phénomènes naturels comme le croisement ou la sélection ;
4° Les procédés de modification de l’identité génétique des animaux de nature à provoquer chez eux des souffrances sans utilité médicale substantielle pour l’homme ou l’animal, ainsi que les animaux issus de tels procédés ».
L’invention peut porter sur un procédé (ex : un procédé de lutte contre les parasites des animaux à sang chaud) ou sur un produit (ex : une molécule, un matériau, une machine).
Un procédé peut être défini comme une suite d’étapes techniques produisant un effet technique.
II / Les conditions de la brevetabilité
L’article L.611-10 du CPI dispose :
« Sont brevetables, dans tous les domaines technologiques, les inventions nouvelles impliquant une activité inventive et susceptibles d’application industrielle ».
II.1/ La nouveauté
La nouveauté est définie à l’article L.611-11 du CPI :
« Une invention est considérée comme nouvelle si elle n’est pas comprise dans l’état de la technique.
L’état de la technique est constitué par tout ce qui a été rendu accessible aux public avant la date de dépôt de la demande de brevet par une description écrite ou orale, un usage ou tout autre moyen.
Est également considéré comme compris dans l’état de la technique le contenu de demandes de brevet français et de demande de brevet européen ou international désignant la France, telles qu’elles ont été déposées, qui ont une date antérieure à celle mentionnée au second alinéa du présent article et qui n’ont été publiées qu’à cette date ou qu’à une date postérieure ».
L’invention ne doit pas exister de toutes pièces dans l’état de la technique.
L’invention ne doit donc pas avoir été rendue accessible au public, quels qu’en soient l’auteur, la date, le lieu, le moyen et la forme de la présentation au public. Si tel est le cas, l’invention n’est plus brevetable.
Ex : la divulgation dans une revue scientifique de l’invention la veille du dépôt détruit la nouveauté.
Souvent, l’inventeur lui-même détruit la nouveauté. Il faut donc veiller à conserver le secret absolu à l’égard de l’invention, notamment en prenant le soin de faire signer des accords de confidentialité à toutes les personnes qui ont accès à l’invention (salariés, partenaires commerciaux, partenaires financiers, sous-traitants, personnes ayant accès aux locaux).
Ex : il a été jugé que l’entreposage d’un produit constitutif d’une invention dans un local ouvert et accessible au public était destructeur de la nouveauté. Idem pour un essai effectué dans des circonstances insuffisamment confidentielles.
Exception : si la divulgation résulte d’un abus, elle n’affecte pas la nouveauté de l’invention, si elle a lieu dans les 6 mois précédant le dépôt de la demande. L’abus peut, par exemple, consister en la divulgation en violation d’un secret professionnel, d’une obligation contractuelle de confidentialité ou sans l’accord de l’inventeur.
II.2 / L’activité inventive
La notion d’activité inventive est définie à l’article L.611-14 du CPI :
« Une invention est considérée comme impliquant une activité inventive si, pour un homme du métier, elle ne découle pas de manière évidente de l’état de la technique. Si l’état de la technique comprend des documents mentionnés au 3ème alinéa de l’article L.611-11, ils ne sont pas pris en considération pour l’appréciation de l’activité inventive ».
Cette condition est donc subtile et subjective (fondée sur les connaissances de l’homme du métier), c’est donc la plus difficile à apprécier.
L’homme du métier peut être défini comme un homme de l’art normalement compétent, à savoir un spécialiste confirmé dans le domaine concerné mais de qualité moyenne. On parle de connaissances normales. Il est celui du domaine technique auquel se rattache l’invention.
Ex : Si l’homme du métier en cosmétologie ne peut méconnaître les principes essentiels de la dermatologie, ses connaissances ne s’étendent pas aux dernières communications et recherches dans le domaine de la cancérologie, qui ne sont pas encore des données acquises et incontestables de la science (TGI Paris, 16 novembre 1994).
Ainsi, pour lui, l’invention ne doit pas être évidente. La non-évidence est appréciée par les tribunaux au regard d’un faisceau d’indices.
Ex : il est évident pour l’homme du métier d’utiliser, par de simples opérations d’exécution, un élément d’un type connu pour lui faire remplir la même fonction dans une application équivalente ( CA Paris, 5 mai 1988).
Notion de combinaison et juxtaposition de moyens connus :
Ex : Une combinaison de moyen nécessite la coopération de ces moyens en vue d’un résultat distinct de la simple addition des moyens juxtaposés. Ainsi, c’est à bon droit qu’un arrêt prononce la nullité d’un brevet pour défaut de nouveauté de la revendication 1 et pour défaut d’activité inventive de la revendication 1 à 6, dès lors qu’il relève que ces revendications, loin de former une combinaison, ne constituent qu’une simple juxtaposition de moyens (Cass. Com., 4 mai 1993).
Ex : Les divers éléments pris séparément étant divulgués, la combinaison de ces éléments qui tendaient, pour une même application industrielle, au même résultat, apparaît comme découlant de manière évidente de l’état de la technique (CA Bordeaux, 15 janvier 1990).
Ex : la Cour qui retient que les antériorités invoquées ne décrivaient pas la combinaison d’une douille d’un emploi simple et d’un élément de fixation permettant de supporter le poids d’un homme, que cette combinaison décrivait un moyen nouveau et ne découlait pas pour l’homme du métier du secteur considéré d’une manière évidente de l’état antérieur de la technique constituée par les brevets invoqués au titre de l’antériorité, a légalement justifié sa décision (Cass. Com., 18 octobre 1994).
II.3 / L’application industrielle
La dernière condition de la brevetabilité est définie à l’article L.611-15 du CPI :
« Une invention est considérée comme susceptible d’application industrielle si son objet peut être fabriqué ou utilisé dans tout genre d’industrie, y compris l’agriculture ».
Cette condition est beaucoup plus facile à remplir, étant donné qu’il suffit que le produit ou le procédé puisse être mis en œuvre par ou pour l’industrie. Dès lors que l’invention présente un caractère technique, la condition est acquise.
En outre, la notion d’industrie est appréciée très largement et couvre toutes les activités humaines organisées.
Ainsi, tous les produits répondent à la condition dès lors que la fabrication peut être manufacturée. Pour les procédés, il suffit que leur mise en œuvre ait une signification économique et dépasse donc la sphère privée.
Ex : La condition d’application industrielle est remplie dès lors que l’objet de l’invention peut être fabriqué, sans que l’atteinte de résultat soit exigée (CA Paris, 17 octobre 2007).
Ex : Une méthode contraceptive destinée à être mise en œuvre dans un cadre privé et intime n’est pas susceptible d’application industrielle (OEB, chambre des recours techniques, 9 novembre 1994).
III / Le cas particulier de la brevetabilité des logiciels
Il est acquis que le logiciel est protégé par le droit d’auteur. Cette protection ne porte que sur la forme et non sur les idées. Le logiciel sera protégé s’il est original.
Ainsi, le titulaire des droits d’auteur sur le logiciel pourra interdire aux tiers de le reproduire, de l’utiliser, de l’adapter ou encore de le commercialiser.
Depuis longtemps, les industriels réclamaient que les logiciels puissent faire l’objet d’une protection par le brevet.
Or, il existe un principe ancien d’exclusion de la brevetabilité des logiciels (loi du 2 janvier 1968).
L’article L.611-10 du CPI dispose d’ailleurs que ne sont pas considérés comme des inventions « les programmes d’ordinateurs » (toujours en vigueur).
Cependant, compte tenu des enjeux économiques, la plupart des offices accordent plus ou moins ouvertement des brevets sur des inventions logicielles en tant que successions d’opérations logiques décrivant un procédé qui peut avoir une application technique.
Au niveau européen, l’article 52 de la Convention sur le Brevet Européen prévoit l’exclusion de brevetabilité des « programmes d’ordinateurs en tant que tels », c’est-à-dire les logiciels « per se ».
L’exclusion ne concerne donc pas les dispositifs matériels qui permettent le fonctionnement, la mise en œuvre du logiciel. C’est pourquoi, un ordinateur ou certains de ses éléments peuvent parfaitement être brevetés.
L’OEB a évolué et a accepté la brevetabilité de programmes pouvant être revendiqués en eux-mêmes, comme produits-programmes ou comme enregistrement sur un support.
Une évolution des textes aurait été opportune mais elle n’est pas intervenue.
Le Parlement a rejeté en juillet 2005 la proposition de directive sur la brevetabilité des inventions mises en œuvre par ordinateur.